Ce soir c’est soirée disco

 

Le long cours de ma vie tranquille me réserve parfois des surprises inattendues. Tout commença par une soirée plus ou moins habituelle. On fait des rencontres, on lie des contacts, on découvre des lieux, bref on socialise gentiment, en vidant quelques verres.

Tout semblait tout à fait normal et je pensais pouvoir rester maître de  la situation. Le fait que cette soirée se déroule loin de mes bases, dans la capitale, ne devait pas m’émouvoir outre-mesure (rue de la soif). Pas plus que le démarrage se soit avéré un peu laborieux, à la faveur d’un serveur particulièrement inefficace (il mériterait un billet à lui tout seul !). Arrive toujours un moment que seuls les plus braves, les plus téméraires devrais-je dire, peuvent connaître. A une heure assez avancée, quelques-uns de mes compagnons de fortune ayant déjà déserté le navire, se posa la question « qui veut aller danser ? ».

Mes talents et mon goût pour la danse sont quelque peu … limités (et c’est un euphémisme). Le début de soirée s’étant déroulé près d’un bal populaire, j’avais brillamment réussi à échapper aux tangos, valses et autres tcha-tchas. Mais cette fois-ci, cette question retentit en moi comme un « qui veut continuer jusqu’au lever du soleil ? » !!!

Comment ça, un défi m’est lancé ? Qui douterait de nos capacités à tenir la baraque, comme on dit vulgairement ? (j’emploie désormais le pluriel car à partir de cet instant, ma moitié, fort d’une bonne dose d’acide acétylsalicylique, marchera dans mes pas jusqu’au bout de la nuit). Mais en réalité, je romance un peu, car la question (si c’en est encore une) ressemblait plutôt à « Aude, Steff, vous venez danser !? ». Il n’en fallait pas plus, et le temps de saluer quelques parisiens peu téméraires (la suite leur donnera peut-être raison), et un ressortissant d’outre-Quiévrain que je pardonne, nous nous trouvions en marche pour ce que nous appelions encore à cet instant, une boite de nuit.

L’entrée dans une impasse paraissait tout ce qu’il y a de plus banal. On reconnaissait les fumeurs à leur tenue légère, et il faut avouer qu’il n’y avait pas foule pour faire la queue. Nous nous sommes acquittés du droit d’entrée, qui paraissait somme toute raisonnable pour un établissement parisien. De toutes façons le ton et le comportement du portier ne laissait aucune place à la négociation, et la demi-douzaine de camarades que nous étions passa devant le petit guichet de la caisse.

A cet instant, tout a basculé, comme dans une série-B. Je me suis retrouvé en une espèce de Marty McFly, propulsé par ma DeLorean une bonne vingtaine d’année en arrière. Qui peut encore supporter de la moquette rouge aux murs ? Pareil pour le sol (enfin elle avait dû être rouge un jour). Des miroirs, des lumières noires, et ce petit vieux derrière son guichet à guillotine qui encaisse le droit d’entrée ! Sortirons-nous un jour de ce lieu ? Est-ce ici le point de départ d’un trafic de traite des blanc(he)s ? Je n’osais même pas évoquer les noms Visa ou CB, le cash semblant être la seule religion ayant droit de cité. A peine avais-je récupéré ma monnaie que le type (enfin le monument) à ma droite me tendait deux mignonnettes d’alcool « tiens, à boire ou échanger au bar contre une autre consommation » !

Nous passons obligatoirement par le vestiaire, où je m’attendais en toute bonne foi à être confronté à une de ces jeunes hôtesses souriantes et avenantes. Hélas, Monica devait avoir pris son jour de congé, car c’est Igor, le frère de l’ouzbèque de la caisse, qui prenait les 2€ par cintre. Et inutile d’essayer de gruger en planquant une veste sous une doudoune, il en avait maté des plus coriaces, le lascar.

Sortie de l’antichambre, arrivée dans la boite. Le bar à gauche, le dance-floor à droite, la musique est anachronique, ça ressemble à des trucs d’aujourd’hui, pas un Bananarama, pas un Modern Talking ou un A-HA ! Avant d’arriver au bar, des gens vautrés partout dans les canapés léopard, des verres et des bouteilles vides partout. Tiens il a sa langue dans la bouche de l’autre, sa main dans son soutif, et l’autre main ? non je veux pas savoir… un petit carnage et la boite ne ferme que dans quatre heures.

Allez, le bar, on n’est quand même pas venu pour acheter du terrain, et on a des mignonnettes à échanger. Pas moyen de mutualiser pour avoir une bouteille, pas possible d’avoir un Jack, alors je prends un Whisky glace. Ah le verre est en plastique, au moins le type bourré là, pourra pas s’ouvrir les veines ou agresser le barman. A propos de barman, toujours pas l’ombre d’une mignonne, ou même d’un beau gosse comme on a l’habitude d’en voir. Au lieu de cela, la bande d’ouzbèques a préféré faire confiance à un vieux Viet qui avait certainement excellé dans un rade sur les bords du Mékong, à servir des caisses de bière à des légionnaires en permission. C’est dire si des dure à cuire il en avait pratiqué. J’ai employé le terme de « faire confiance », ce qui n’est finalement pas si sûr. Les slaves ont, on le sait, une notion de confiance qui se limite aux membres de leur propre famille, et encore. C’est pourquoi, c’est à Yvan, le plus âgé de la fratrie qu’incombe la dure responsabilité de faire les comptes. Il occupe une position de choix, assis tout au bout du bar, et compte les coupures au fur et à mesure de leur encaissement. Inutile de préciser que la carte n’est pas la bienvenue, pas plus que pour l’entrée. Et Yvan n’a pas son pareil pour faire des tours de passe-passe, à l’évidence, il sait reconnaître toutes les coupures au toucher, si ce n’est à l’odeur, et fait disparaître les paquets de 100€ en moins de temps qu’il n’en faut à Zizou pour encaisser un chèque qatari.

A la surprise générale, nous trouvons une table immédiatement, et je goûte à ce qui m’a été vendu pour du whisky. Bon avec la glace, ça peut passer. Nous prenons alors le temps d’admirer la déco. Il coule de source que Valérie Damidot n’est jamais passé par là, il y aurait de quoi maroufler, peinturer, stickeriser, customiser et home-stager. Au lieu de cela, velours rouge, léopard, paillettes et miroirs, l’entrée de la boite donnait le ton, la suite a été à la hauteur de nos espérances. Tant pis, on fera avec, voyons si tout cela est bien fréquenté… une grande majorité de mecs, ça c’est pas bon signe. Je ne suis plus réellement frais à cette heure tardive, mais je dois être un des gars les moins cuits de la place. Ces deux-là se fritent, pas de risque, il n’y en a pas un qui tient plus debout que l’autre ! Pourtant, un ou deux gossbô qui passent, quelques blacks un peu plus stoïques que la moyenne, du jeune, du moins jeune, éclectique.

Il y a bien des filles, tour d’horizon, le temps d’immortaliser la magnifique alcôve façon savane, qu’arrive un animal bien en harmonie avec le décor. Je me trompais depuis le départ. Ce n’était pas l’antre du léopard, mais plutôt celui de la couguar ! La voilà, elle s’est installée dans son alcôve, à l’affût, prête à bondir sur sa proie d’infortune. Feignons de ne pas la remarquer, elle finira bien par aller boire à la rivière ou trouver quelque charogne à grignoter. Ah, enfin deux filles plus jeunes … accrochées au même type, ou alors c’est plutôt le contraire, c’est lui qui se cramponne pour rester vivant. En soudain une autre, vraiment pas mal celle-là (à moins que ma capacité de jugement ne soit déjà altérée à ce moment ?), mais elle tient la main à deux gars, et ils ne les ont pas dans les poches, leurs mains.

Je lance alors un naïf « il y a pas mal de mecs avec deux meufs et vice-versa, c’est assez marrant ». Bon, je suis un vrai provincial, mais quand même, je sors et le m’informe ! Notre hôtesse de la soirée (elle se reconnaîtra) me répond avec un air le plus naturel : « ben oui, il y a beaucoup de putes ici ! ». Mon cerveau se remet en route, les ouzbèques, les videurs de trois mètres, le barman, les gigolos, les couguars, le décor … mais tu sors d’où Steff ? candide que tu es ?

Je décide de faire un tour aux toilettes, certainement pour me remettre de mes émotions, c’est moins pire que je ne le craignais. Tout juste un type qui a dû abuser de la poudre, en train de danser devant le miroir du lave-main. Il chope mon voisin de pissoir à pleins bras, l’autre manque de lui défoncer la tronche et lui beugle « jamais tu me touches, dégage de là ou je te déchire ». Sche ne fois rien, sche n’entends rien, disait Papa Schultz. Je remonte et passe près de la porte et remarque à peine le videur ivoirien faire planer un gus direction la sortie. Finalement, l’humain possède une capacité d’adaptation hors normes parfois.

Il est temps de faire un tour dans la salle du bas, la deuxième piste que nous a vendu l’ouvreur. Après une descente qui s’apparente à celle que je ferai le jour du jugement dernier, nous arrivons dans une espèce de cave voûtée. Le DJ doit être le grand-père de celui du haut, il joue un vieux twist de Dick Rivers, je ne rêve même plus, je n’ai jamais pris d’acides, mais ça doit y ressembler ! Et puis le choc, je me surprends à être nostalgique de l’époque où nous fumions à pleins poumons dans les boites. Le tabac a cette vertu de masquer toutes les odeurs, et surtout celles dites corporelles. Je ne tiens pas plus de cinq minutes, ma capacité d’apnée est trop limitée. En plus, papy-DJ a gardé ses moufles, ou alors il essaye de scratcher les CD, mais après avoir massacré « Rock around the clock », il a enchaîné (enfin c’est un grand mot) sur du zouk.

Retour sur la piste principale, tous les clichés y passent. Le type vraiment trop bourré qui titube le verre à la main en plein milieu du dance-floor. Le mec qui croit qu’il danse super bien, qui monte sur le podium, il fait un truc de ouf avec ses pieds, inutile de préciser que le rythme n’y est pas ! La meuf mal attifée qui décolle pas du miroir, et se regarde danser, elle est déjà dans X-Factor. L’avantage, c’est qu’elle occupe au moins trois relous, toujours ça de moins à gérer pour la protection des filles de la bande. Les putes à peine fringuées, qui se prélassent et se pelotent entre elles, plus qu’elles ne dansent. Et bien sûr, quelques paumés, mâles et femelles qui dansent sans conviction et regardent tourner le compte à rebours qui sonnera l’heure du dernier morceau.

Pour casser ce faux-rythme, je décide un raid au bar, histoire de voir si je peux contribuer à l’amélioration des relations franco-vietnamiennes. Avant de me servir, il finit d’encaisser mon voisin de comptoir : « pas carte, toi pas du liquide ? ». Le type n’est plus en état de compter, il sort ses derniers billets, essaye de les reconnaître (là-bas tous les billets sont rouges), n’a pas le temps de compter qu’oncle Ming se sert, il a consciencieusement évité le 5 et le 10€. « Vas-y maintenant dégage ! ». Je commande, répète 4 fois, c’est que toutes ces années derrière le bar l’ont rendu sourd, le cochon. Et contre toute attente, les doses servies sont plus que convenables, et l’addition pas vraiment salée pour le lieu et le moment.

Encore quelques minutes sur la piste, quelques slows, comme à la belle époque … merde même pas un petit George Michael, dommage ! Et la dernière demi-heure à fond on a encore la pèche … enfin presque tous. Dernier morceau, petite prise de tête avec un ultime relou au vestiaire, rien ne manque dans mes poches, direction la sortie … ça pique les yeux … c’est le printemps, il fait jour plus tôt ! « On va manger ? » … « Venez à la maison ! » …

Bon nous il nous reste une traversée de Paris aller-retour, et dans moins de 6 heures on doit être dans le TGV direction maison. Alors nous quittons nos petits camarades, la larme au coin de l’œil, à croire qu’on ne se reverra jamais ! Le métro ne nous permettra pas d’admirer le lever de soleil, sortie du métro, j’aime Paris au petit matin, je ne peux pas m’empêcher de citer Audiard :

« Et ben … C’est un petit matin comme tu les aime … Comme on les aimait quoi. Les filles sortent du Lido, tiens ! Pareil qu’avant. Tu te souviens ? C’est à c’t’heure là qu’on emballait … »

Dodo, métro, TGV, Canardo, retour à la maison, j’ai l’impression d’être parti depuis des semaines, c’est le signe d’un week-end bien rempli. Promis on se refait ça à Strasbourg et à Bruxelles.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.